Swiss Carers Blog

La base sous-estimée du système de santé

Rédigé par Patrick Hofer | 12/5/24 11:00 PM

Les proches aidants comme ressource

Lorsque l’on considère le système de santé suisse avec son réseau dense d’hôpitaux, de services Spitex et d’établissements de soins spécialisés, on peut avoir l’impression d’un système globalement bien organisé et efficace. Cependant, cette impression n’est que partiellement correcte. En effet, le travail non rémunéré des proches aidants constitue un pilier central qui rend souvent viable le soutien formel.

Selon les estimations, les proches aidants fournissent chaque année des prestations de soins et d’assistance d’une valeur estimée à 3,7 milliards de francs. Face aux défis du changement démographique et à la demande croissante en soins ambulatoires, il est grand temps de reconnaître davantage cette contribution silencieuse et d’apporter un soutien plus efficace à ceux qui en sont à l’origine.

Connaissances et proximité comme facteur de qualité

L’affirmation selon laquelle les proches aidants constituent « l’épine dorsale » des soins est largement partagée par les experts. Martin Beck, de l’association Asfam, souligne : « Sans l’engagement actif des proches aidants, le niveau élevé de qualité des soins ambulatoires, que nous considérons aujourd’hui comme allant de soi en Suisse, ne pourrait être maintenu. Leur connaissance approfondie de la personnalité et des besoins spécifiques des personnes aidées dépasse souvent ce que peuvent offrir les professionnels. »

Importance économique des soins informels

Cette proximité et cette intimité que les proches apportent aux soins sont des facteurs déterminants pour la qualité de l’accompagnement. Azra Karabegovic, de l’organisation Carela, explique : « Nous constatons que les proches permettent des choses qui sont souvent hors de portée des services professionnels. Par exemple, aider une personne à conserver son autonomie pour aller aux toilettes, plutôt que de recourir à des protections. Cela est non seulement plus digne et plus sain pour la personne aidée, mais cela réduit également les coûts et économise des ressources à long terme. Sans cette flexibilité, nous verrions bien plus souvent des personnes entrer en institution plus tôt que nécessaire. »

Ces exemples illustrent la valeur des soins informels : les proches aidants sont souvent présents 24 heures sur 7 et possèdent une compréhension approfondie de l’univers de vie des personnes aidées. Ils jouent un rôle de capteurs sensibles aux changements physiques et psychologiques, et réagissent de manière flexible en cas de crise. Le résultat est souvent une diminution des hospitalisations et des coûts de santé qui y sont liés.

Les études montrent que les dépenses de soins pourraient augmenter de 50 % sans l’engagement des proches. Dr Andreas Hellmann, de l’organisation Pflegewegweiser, met en avant l’impact économique : « L’utilité économique de ce travail est immense. Si les soins informels des proches étaient entièrement remplacés par des professionnels, les coûts exploseraient. Le système de santé ne pourrait tout simplement pas faire face à de telles contraintes financières. »

Les revers du travail d’aidant

La contrepartie de cette contribution est la charge importante que cela représente pour les proches aidants eux-mêmes. Environ deux tiers des proches aidants ont un emploi et réduisent souvent leur taux d’activité, ce qui entraîne des pertes de revenus, des lacunes dans les cotisations pour la retraite et un risque accru d’épuisement physique et psychologique. De plus, les offres de répit adaptées font souvent défaut : selon les enquêtes de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), environ la moitié des proches aidants n’ont pas la possibilité de « souffler » de temps en temps.

Pourtant, il est bien connu que ces pauses ont un effet positif sur la santé des aidants et sur la qualité des soins. Les besoins des proches sont clairs : plus de conseils par des professionnels, des services de transport, une aide en cas d’urgence, un soutien dans les démarches administratives et une reconnaissance en tant que partenaires à part entière dans le processus de soins.

Soutien stratégique aux proches aidants

Martin Beck (Asfam) identifie des leviers évidents pour agir : « Nous devons faciliter l’accès des proches aidants à des formations et à des conseils professionnels. Parallèlement, il est nécessaire d’élargir les compensations financières. Ceux qui fournissent un tel volume de travail de soins réalisent une prestation d’intérêt public – il est donc logique de prévoir une compensation adéquate. »

Les organisations travaillant avec les proches aidants soulignent que la collaboration entre soins formels et informels n’est plus un sujet marginal. Azra Karabegovic (Carela) insiste : « La coopération entre Spitex et les proches n’est pas le fruit du hasard, mais un élément essentiel de notre système. Mieux nous structurons cette collaboration, plus les personnes restent autonomes dans leur environnement familier. Et mieux nous soutenons les proches aidants, moins fréquentes seront les situations de crise nécessitant des solutions institutionnelles coûteuses. »

Préparer l’avenir

Dr Andreas Hellmann (Pflegewegweiser) voit dans le renforcement des proches aidants un investissement stratégique pour l’avenir : « Au vu du vieillissement démographique, il est évident que nous ne pouvons pas nous passer de cette ressource. Si nous prenons les bonnes mesures maintenant – meilleure coordination, plus de formations, reconnaissance financière et offres de répit – nous garantirons la durabilité de notre système de santé à long terme. »

Les proches aidants ne sont donc pas seulement un cercle de « petites mains » silencieuses comblant les lacunes du système. Ils sont devenus une force incontournable, que toute politique de santé tournée vers l’avenir doit inclure. Cependant, l’équilibre qu’ils maintiennent est fragile.

Sans soutien ciblé, il y a un risque de surcharge, de pertes financières et, en fin de compte, d’une dégradation de la qualité des soins. Le système de santé suisse aurait tout intérêt à ne plus considérer cette base comme acquise et à inclure les proches aidants comme partenaires stratégiques. Faute de quoi, la stabilité du système ne pourra être garantie dans une société vieillissante.